2 ans auparavant, Zebra

Ada tint la promesse qu'elle avait faite à Michael : la semaine qui suivit son annonce, elle lui présenta Zebra.

La rencontre eut lieu dans un café à la mode du quartier chic d'Almogar, et, en effet, Zebra plut tout de suite à Michael. Elle était ravissante, blonde teintée de reflets roses, menue et pourtant dotée d'une fière poitrine. Sa bouche un peu grande répondait à ses yeux bleus-gris affectés d'un très léger strabisme convergent qui renforçait le mystère de son regard. Elle était nettement plus âgée qu'eux, et donc sophistiquée et mystérieuse, mais aussi souriante et cajoleuse, joyeuse aussi, espiègle et provocante. Elle avait une assurance qui troubla d'emblée Michael. Était-ce la chaleur de sa voix douce, mais ferme, ou la collision de son apparence d'adolescente gracile et de la lenteur mesurée de sa gestuelle de femme mûre ? Une chose était certaine : au contact de Zebra, son impatience chronique l'avait abandonné, et c'était pour Michael une découverte aussi étrange qu'agréable. Il ressentait à son contact une sorte de langueur, comme si elle l'avait hypnotisé en quelques phrases. Il ne pouvait expliquer cette tiédeur qui l'envahissait, directement au creux des reins. Il avait l'impression de décoller de son siège, d'entrer en lévitation à l'intérieur de lui-même, et le temps en sa présence semblait passer différemment. À l'arrivée de la deuxième tournée de boissons, Michael laissa les deux filles quelques minutes pour passer aux toilettes. Quand il revint, il perçut qu'il s'était produit un changement. Zebra se mit à lui faire du charme sous le regard amusé et complice d'Ada. Michael devina qu'un conciliabule avait été tenu en son absence. Il y reconnut la patte d'Ada. Dès qu'il fut assis, Zebra se colla à lui, lui fit sentir son parfum sucré, son souffle mentholé, l'incita à plonger son regard dans son décolleté, où il découvrit deux ravissants petits globes dorés. Elle intercepta son regard et lui sourit, complice et fière. Il rougit, mais regarda à nouveau. Elle le regardait regarder et il aima son air calme et déterminé. Il comprit alors qu'il était réellement hypnotisé. Zebra se mit à lui caresser les épaules, glissa dans ses cheveux les doigts d'une main chaude qu'elle laissa sur sa nuque. Plus tard, elle vint reposer légèrement sur son épaule son petit bras bronzé. Il se laissa faire, ensorcelé. Il se sentait fondre. Il entendit vaguement qu'elle lui faisait des compliments. Le souffle de sa voix, le contact de ses mains, tout cela l'envoûtait. Pour Michael, c'était une surprise incroyable. Jamais une fille ne l'avait dragué d'une façon aussi directe et explicite. Il rougissait, et comble suprême, cela faisait rire Ada. Il était aux anges. Il était en train de découvrir le plaisir inouï de simplement se laisser faire. Zebra était sublime, si belle avec son petit visage délicat, ces grands yeux clairs, sa bouche peinte en rose bonbon pailleté, son bronzage assorti à sa blondeur, ses manières délicates, les mouvements gracieux de ces petites mains dorées aux ongles assortis à ses lèvres. Il sentit qu'il était en train de tomber amoureux, même si c'était l'amour express, car Zebra dévalait comme un chauffard ivre les virages de la route du tendre. Et pourtant, elle le faisait avec une délicatesse et une sensibilité inimaginable, Michael en était tout à fait subjugué. Le trio quitta bras dessus bras dessous le café où avait eu lieu la rencontre, pour prendre la direction de l'appartement que Zebra occupait, au dernier étage d'un immeuble luxueux tout proche. Michael tremblait d'excitation en se demandant si Zebra avait l'intention de passer à l'acte, et si oui, ce qu'Ada ferait ? Zebra les installa dans le canapé du salon, dont la décoration était à la limite de l'étrange, un mélange de style baroque et ultra moderne, alourdie d'une surcharge d'objets un peu ridicule dans l'extrême de la couleur et de la forme, le manque apparent de fonction, et dont beaucoup faisaient montre d'une forte connotation sexuelle. En particulier, les murs du salon étaient décorés par une collection d'écrans où s'enchaînaient des présentations de néo-estampes japonaises pornos ultrastylisées dans lesquelles des monstres hideux aux couleurs improbables empalaient sur des vits colossaux et gluants des lolitas aux immenses yeux et aux mains ligotées par des tentacules pustuleux. Pour ne pas dépareiller, un grand vase trônait dans un coin, garnis d'un assortiment de cravaches gainées de cuir noir, et un mobile tournait à l'opposé, qui tenait suspendus des colliers de vinyle cloutés et des godemichets collés sur des cagoules de latex rouge. Le reste était de la même veine, jusqu'à la fausse fourrure ocellée devant un âtre où dansaient des flammes tout aussi factices. Les filles s'assirent et Zebra tapota l'assise du canapé au creux qu'elles avaient laissé entre elles. Michael haussa les sourcils, interrogea Ada du regard. Celle-ci sourit, elle avait les pupilles dilatées, le regard brillant. Elle lui fit le même geste d'invitation à s'asseoir entre elles. Michael vit au travers de l'étoffe que les bouts des seins d'Ada étaient en érection. Quand il fut assis, elles se serrèrent contre lui d'une façon si exagérée que cela les fit rire. Celui de Zebra était cristallin et creusait des fossettes dans ses joues. Michael comprit que c'était un guet-apens, mais il trouva que du coup, c'était encore plus excitant. En quelques minutes dans les bras de ses deux femmes, il apprit plus sur le comportement amoureux, en se laissant faire, que des générations d'hommes avant lui en dictant leur désir. Il se trouva bientôt nu, et les filles quittaient leurs vêtements petit à petit. Quand Zebra retira son jean, il marqua l'arrêt. Entracte prévu : Zebra le scruta de ses yeux clairs avec un mélange unique de défi et de sérénité tandis qu'Ada venait emboucher l'objet avec un regard appuyé de bravade à Michael. Il comprit alors que les filles avaient attendu cet instant avec une espérance profonde, et que Zebra vivait avec une fierté immense sa capacité à cacher sa vraie nature. Il lui chercha des poils au menton, et bien entendu, il n'en trouva pas. Elle était tout à fait ravissante, indubitablement et radicalement féminine, avec ses petits seins parfaits dressés sur son torse étroit. Zebra lui sourit en lui caressant la joue. Ce regard et ce geste donnèrent à Michael un frisson étrange et nouveau : une appréhension délicieuse, un désir intense de lui obéir pour transgresser des tabous. Ensuite, occupé comme il l'était, il rata l'entrée en scène de Jennifer. Elle était très belle, blonde elle aussi, mais dans un style différent de Zebra, plus grande, la peau plus claire. D'immenses yeux bleus éclairaient son visage élégant. Une guêpière en dentelle noire mettait en valeur son corps de fille de magazine : taille très étroite et larges hanches. Des mules à très hauts talons au bout d'interminables jambes gainées de résille complétaient le tableau. Alors qu'elle venait enlacer Zebra, l'attention de Michael fut dans un premier temps capturée par la vision de ses seins monumentaux qui semblaient à la limite de déborder de la lingerie. Puis il vit qu'elle ne portait rien en bas. Cependant, ce qui aimanta son regard à cet endroit fut surtout la constatation qu'elle avait elle aussi un attribut inattendu, de fort belle taille. Zebra choisit cet instant pour faire apparaître une paire de menottes gainée de fourrure rose avec laquelle elle enchaîna les poignets de Michael en le regardant dans les yeux avec assurance, ce qui lui donna un autre frisson d'abandon, sublime. Ce n'est que lorsque Zebra fit approcher Jennifer qu'il perçut, sans bien savoir quel indice l'avait mis sur la piste — un certain manque d'expressivité du visage, de souplesse dans les jambes ? — que Jennifer n'était pas un être humain. Comme elle s'agenouillait entre ses cuisses et se mettait au travail avec application, il put vérifier qu'il s'agissait de l'un de ces modèles récents d'androïde qui frisaient la perfection. Quelques moments plus tard, Zebra quitta le lit. Elle s'éloigna à grands pas souples, comme une danseuse, pour fouiller un tiroir, dont elle sortit une petite boîte. Elle y pécha une capsule qu'elle fendit d'un coup de dent afin d'en extraire un objet oblong, grand comme une balle de revolver, qu'elle montra à Michael entre le pouce et l'index, comme si elle jouait l'assistante du magicien. Et ensuite, elle se posa une main sur la hanche, théâtralement. Elle fit un clin d'œil, et, d'une sorte de pirouette, elle se mit à quatre pattes sur le lit à côté d'Ada. Elle leva sa croupe superbe dans l'axe face à Michael avec un effet provocateur recherché, une impudeur éblouissante. Michael admira le tableau. Il eut l'intuition qu'il regardait un spectacle, ou en tout cas une résurgence d'une activité scénique. Zebra avait sur les fesses un petit tatouage qui dans cette position révélait une cible stylisée en toile d'araignée dont on devinera le centre. Elle se glissa prestement le petit missile, qui disparut sous la pression de son index, puis elle s'allongea scéniquement dans le lit à côté d'Ada qui vint l'enlacer, l'embrasser et la caresser. Bientôt, Zebra se recroquevilla dans la couette, serrant les cuisses et les poings. Le dos arqué en arrière, elle souffla son extase dans un long gémissement, et elle resta là, haletant mollement. Son visage et son corps reflétaient une béatitude immense. Lascivement, elle se mit à se caresser tandis qu'Ada rampait vers ses cuisses et faisait disparaître sa caresse sous la cascade bleue de ses cheveux. Zebra se laissa faire quelques minutes, puis elle se leva pour aller chercher la petite boîte, qu'elle secoua pour en faire tinter le contenu. Elle demanda :

— À qui le tour ?

Michael ouvrit de grands yeux, il avait juré à sa mère de ne jamais toucher à une substance illicite. En même temps, il pouvait constater que Zebra bandait furieusement maintenant, et il frissonna. Il n'avait que peu de doute sur ce qu'elle allait vouloir lui faire.

— À moi ! affirma Ada, et elle se mit aussitôt la croupe en l'air. Comme Zebra s'avançait en ouvrant un emballage d'un coup de dent, Michael demanda :

— Qu'est-ce que c'est ?

— C'est un cocktail de stimulants du système nerveux de synthèse et d'un aphrodisiaque de troisième génération, le tout dans un gel excipient, répondit sentencieusement Zebra. La diffusion est progressive. Il n'y a pratiquement pas d'effets secondaires et très peu d'accoutumance métabolique. Tu peux me faire confiance, c'est très haut de gamme.

— Fais-le, fit Ada, et comme Michael l'entendit, c'était plus qu'une recommandation. Il vit la bouche entrouverte de Zebra qui se concentrait pour donner cette estocade de la jouissance illicite, et Ada qui tombait à son tour dans le lit, le dos arqué. Elle gémit, presque comme elle le faisait dans l'orgasme. Elle aussi, elle se mit à se toucher, les yeux fermés, concentrée et sous l'empire de sa jouissance. Zebra vint sur elle, la retourna et la prit sans autre forme de préliminaires, lui arrachant un cri. Après quelques secondes de besognage attentif, Zebra claqua des doigts et dit « Jennifer ». L'androïde obéit : elle abandonna sans délai Michael pour se mettre au travail sur Ada à la place de sa maîtresse. Et Ada se mit à faire des petits jappements joyeux, crispant ses mains sur le drap. Quand il tourna la tête, Zebra lui montrait un petit projectile.

— À toi ! affirma-t-elle.

Il sortit du lit. Il avait complètement débandé. Il se sentait idiot, vêtu en tout et pour tout des menottes de fourrures roses. Il secoua la tête.

— Pas pour moi.

Il était prêt à partir en courant, en tout cas, la partie raisonnable et policée de son l'intellect avait presque déjà pris cette décision. Zebra perçut cela. Elle se leva sans hâte et vint vers lui avec un sourire vainqueur, blondeur superbe dans la nudité, balançant ses hanches, et son instrument de star de porno oscillait comme le battant d'une cloche de cathédrale. Michael hésitait, elle lui imposa son regard dominateur. Elle tourna autour de lui afin de lui bloquer la route vers la porte. Il lui fit face au lieu de forcer le passage et de s'en aller, ce qu'il aurait pu faire sans la moindre difficulté. Elle lui sourit et secoua paresseusement la tête. Son regard le cloua sur place. Quand elle vint gentiment lui appuyer son index tendu sur le sternum, il fit un pas en arrière, puis un autre jusqu'à buter contre le lit et elle le repoussa résolument afin qu'il y tombe.

Au moment de quitter Zebra, Ada plongea la main dans son sac. Elle en sortit une poignée de puces monétaires que Zebra accepta sans rien dire. Arrivés dans la rue, il faisait nuit noire. Michael demanda :

— Tu l'as payée pour me déniaiser du cul ?

— Mais non, gros bêta. C'est elle qui a demandé à te rencontrer, je lui avais montré des vidéos de toi. Et puis, dans le bar, elle m'a dit que tu lui plaisais beaucoup.

— Alors cet argent, c'est quoi ?

— C'est notre participation pour la came.

— Et c'est combien ?

Elle le lui dit.

« Tu es dingue ? Où est-ce que tu vas chercher tout ce blé ?

— Si on te demande, tu diras que tu ne sais pas.

— Où est-ce que te l'as rencontrée ?

Ada lui fit sa face de joueuse de poker.

— Dans un bar ?

— Tu inventes ?

Elle sourit.

— Non, c'était dans un bar, mais les circonstances étaient un peu particulières.

— Ah oui ?

— Bon, allez, c'est un test d'intelligence : comment est-ce que tu crois que je me paye cette came ?

— Tu fais des trucs louches dans des boîtes louches. Tu avais des traces de cravache sur les fesses l'autre jour.

Elle haussa les épaules.

— Voilà, tu sais l'essentiel. Ça tombe bien, il fallait que je t'en parle un jour où l'autre. C'est marrant comme maintenant que je t'ai vu y goûter, c'est plus facile.

— Tu fais des trucs avec elle en scène ?

— Pourquoi ne dis-tu pas franchement à quoi tu penses ? Oui, on baisse en scène, et pas qu'avec elle, et pas qu'en scène, et ça rapporte beaucoup d'argent. Le chic avec Zebra, c'est que presque tous les mecs ont des fantasmes homosexuels, ou des fantasmes de soumission, ou les deux, plus ou moins refoulés. Du coup, ils ont une attraction très forte pour les Domina comme Zebra. Et tu le sais bien, maintenant.

— Pourquoi au juste voulais-tu que je la rencontre ?

Ada sourit malicieusement.

— J'étais sûre qu'elle te plairait.

— Tu voulais me faire essayer la drogue ?

— Si je t'en avais parlé, tu ne serais pas venu. Mais ces suppos, c'est le top, non ?

— Et alors ?

— Et alors, tu te rends compte que pas un mec au monde ne manquerait un truc comme ça ? Du sexe sophistiqué avec des super cannons et de la came de rêve ? Tu te rends compte ? Pour toute réponse, il haussa les épaules.

« Tu n'as pas aimé ? demanda-t-elle, moqueuse. Il haussa les épaules à nouveau.

« Tu ne vas pas essayer de me faire croire que tu simulais, quand même ?

— Non, on est d'accord, je ne simulais pas.

— Bon, elle non plus.

— Que veux-tu dire ?

Elle sourit malicieusement.

— Michael, elle va avoir envie de te revoir. Et toi aussi, tu vas avoir envie de la revoir, et, pour commencer, qu'elle te flanque une autre bonne fessée.

Elle éclata de rire. Il hocha vaguement la tête. En même temps, il eut un violent frisson à la réalisation qu'il avait en lui des pulsions très intenses en réserve, prêtes à ressurgir avec son fantasme de soumission envers Zebra, et dont il avait déjà accepté, inconsciemment, d'éprouver la profondeur.